[Vestiges de l'ancien Théâtre de l'Eldorado]

droits Creative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0741 FIGRP11839 001
technique 1 photographie négative : couleur ; 36 x 24 mm
description Eléments d'architecture de l'ancien Théâtre de l'Eldorado, 33, cours Gambetta, Lyon 3e.
historique Présidé par Christian Philip en l'absence de Raymond Barre, le conseil municipal interprétera le 14 février 2000 le dernier acte de l'Eldorado pour une recette de 3 millions de francs. Bâtiment inscrit à l'inventaire des Monuments historiques, ce vieux théâtre démoli en 1993 avec promesses de réutilisation de sa décoration intérieure et de reconstruction d'une autre salle, n'aura vu se concrétiser aucun de ces engagements. Alors qu'il ne reste plus grand chose des reliquats des stucs et staffs stockés dans un garde-meuble, le promoteur immobilier qui a été mis dans l'impossibilité de réaliser le programme envisagé, règle la note de ce manque à construire. La somme sera partagée entre deux institutions culturelles.
historique Il aura fallut un peu moins de vingt ans pour en arriver là : à rien. Vingt années pour éliminer définitivement le vieux théâtre du paysage lyonnais et effacer ce qui pouvait en évoquer le souvenir. La prouesse a été lente et formidable. En votant [le 14 février 2000] un dernier petit texte expiatoire permettant à 3 millions de francs de tomber directement dans l'escarcelle municipale, les élus de la ville récupèrent une mise qu'ils n'ont jamais engagée. 3 millions de bénéfice pour avoir obtenu du ministère de la Culture qu'il autorise, primo, la démolition d'un bâtiment inscrit à l'inventaire des Monuments historiques et, deuxio, qu'il oublie les conditions auxquelles était soumise cette démolition, c'est tout de même un tour de passe-passe de première grandeur. Dans l'hémicycle, les nouveaux venus pourront à loisir suggérer le manque de rigueur de leurs prédécesseurs, les autres oseront peut-être quelques effets de manche, un discours pour dire qu'ils ont bien essayé, qu'ils l'aimaient beaucoup cet Eldorado construit à la fin du XIXe qui, sur le cours Gambetta, a fait office de café-concert avant de voir passer Mistingett et Fernandel, de se transformer en cinéma, puis d'abriter entre gouttières et courants d'air les mises en scène de Chéreau, Boëglin, Lavaudant... Impossible d'espérer mieux que de larmes de crocodile. Qui peut légitimement évoquer la magie des lieux ? Pas grand-monde. Et qui l'ose se voit vivement rappeler que l'Eldorado était une ruine dotée d'une façade informe, un machin qui tombait en morceaux appelant des investissements d'importance. Ce qui n'est pas faux. L'argument financier fut d'ailleurs utilisé par la Ville pour décliner l'offre de l'ancien propriétaire, Charles Mérieux, prêt à se défaire de sa salle à l'italienne moyennant un franc symbolique. Lyon jugeait le cadeau empoisonné et les théâtreux militant pour la sauvegarde du site trop impertinents pour justifier une quelconque dépense. Au tout début des années quatre-vingt, cela sentait donc vraiment le roussi pour l'Eldorado. Les promoteurs immobiliers les mieux avertis tournent autour de l'îlot, Charles Mérieux, las des atermoiements politiques, choisit de vendre au prix du marché et déjà tout semble perdu lorsqu'un conservateur régional des Monuments historiques d'une pugnacité rare, pousse à l'inscription de l'Eldorado à l'inventaire supplémentaire. Ouf, font les théâtreux, sans comprendre qu'en coulisses se négocie un coup tordu. Moyennant un bout de papier assurant la reconstruction d'une salle de spectacle toute neuve et l'intégration, dans l'atrium d'un immeuble de bureaux des éléments les plus significatifs du décor, Jack Lang entérine le programme des promoteurs et signe le permis de démolir. Balayée l'inscription Monument historique, oubliée la protection des théâtres telle que pratiquée depuis 1945 et, si l'on excepte les destructions pour cause de péril d'une petite gare du confluent ou de la chapelle Saint-Alban, jamais bâtiment lyonnais protégé n'avait ainsi été désavoué. Place aux pelleteuses. En mars 1993, les murs d'enceinte tombent, l'Eldorado n'est plus et doivent uniquement être sauvés du désastre dix poteaux de fonte, leurs mascarons ornés de masques de comédie ou de chapiteaux, les rambardes des trois balcons, le cadre de scène, les plates-bandes du plafond. Non seulement la liste ressemble à un inventaire après décès, mais, hormis les poteaux, tous les éléments prélevés sont d'une telle fragilité qu'il est envisagé dès la dépose de réaliser des moulages et de se passer des originaux. Quoi qu'il en soit, les mouleurs n'auront pas le temps de passer à l'action et le décor original va se signaler par une nette propension à disparaître dans le paysage. Les dix poteaux n'arriveront jamais dans le garde-meuble qui doit les accueillir, des chapiteaux se volatilisent et c'est au point que le promoteur, chargé du stockage en attendant réutilisation, hérite d'un butin si peu conforme à la liste première que, pour sauver les apparences, il acquiert aux puces ce qu'il découvre d'échantillons en vadrouille ! Trois têtes de grotesques, des bouts de corniches, quelques lyres à la peinture écaillée... ne subsiste aujourd'hui presque plus rien de l'Eldorado et plus personne pour s'en émouvoir puisque de réutilisation du décor, comme de nouvelle salle d'ailleurs, il n'est plus question. A cela plusieurs raisons. Michel Chomarat qui a été l'un des plus ardents artisans de la sauvegarde du théâtre et qui, à ce titre comme à celui, actuel, de Monsieur Patrimoine à Lyon, n'est pas suspect de tiédeur : Michel Chomarat donc, confirme que le milieu culturel lyonnais s'est signalé tout au long des négociations avec le promoteur par une absence totale de projet ou par des exigences stupides. Jamais la SMCI, puisque ce fut elle in fine qui a assuré la maîtrise d'ouvrage de l'ilot, ne s'est trouvée en mesure de répondre à la demande artistique d'une compagnie ayant les moyens de faire vivre le lieu qu'on pouvait lui offrir. Exit la salle. Quant aux desseins immobiliers avec atrium grand luxe, bureaux installés dans une architecture à l'italienne et autres plans mirifiques, ils ont été écornés par des modifications municipales du plan d'occupation des sols. La SMCI après avoir longtemps cherché à respecter stricto sensu l'ordonnance du ministère sur des terrains payés au prix fort et dans un environnement où ne se réalisaient plus les aménagements urbanistiques promis, ne pouvait plus que demander à être déchargée de ses obligations contractuelles. Ce qui sera entériné ce [14 février 2000], via une convention tripartite SMCI, ministère et Ville. La première réglant à la troisième avec l'accord du deuxième le prix, majoré paraît-il, de ce qu'aurait représenté le gros oeuvre d'un théâtre neuf : 3 millions de francs. "La Ville n'a pas à rougir de cette transaction", dit Vahé Muradian qui présentera le texte de cette convention devant le conseil municipal, "les idées généreuses du départ ont été impossibles à réaliser. Si les choses avaient été simples, elles seraient déjà faites. Lyon n'a pas à avoir de complexe. Maintenant, positivons et comme par rapport à son offre de salles de spectacle, nous avons demandé à ce que la somme soit attribuée à des lieux existants". Résultat du partage : 1,5 million de francs aux Subsistances et l'autre moitié à l'Espace 101, local associatif à vocation sportivo-culturelle situé au 101, boulevard des Etats-Unis qui comportera un théâtre. Trois têtes grimaçantes dans un dépôt, 3 millions de francs pour anesthésier ce qui aurait pu ressembler à de la mauvaise conscience et trois signataires : ce soir on enterre le fantôme de l'Eldorado. Source : "Eldorado, le dernier outrage" / Sophie Bloch in Lyon Figaro, 14 février 2000, p.1-3.
note à l'exemplaire Ce reportage photographique contient 68 négatifs.
note bibliographique "Que reste t-il de l'Eldorado" / Muriel Robin in Le Progrès de Lyon, 27 janvier 2000. - "Il était une fois... l'argent de l'Eldorado" / Jacques Roybin in Le Progrès de Lyon, 25 novembre 2000. - La perte et la mémoire : Vandalisme, sentiment et conscience du patrimoine à Lyon / Patrice Béghain et Michel Kneubühler, 2015, p.228-229.

Retour